MATHIAS REY

Notaire associé

La vente en viager

Actualités

Dans un monde vieillissant par l’allongement de la durée de vie, d’ici 2030 le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait bien doubler. Et tandis que la majorité des seniors souhaite demeurer chez elle après 70 ans, la vente en viager autrefois considérée comme une pratique marginale, suscite dans le paysage immobilier actuel un regain de popularité

Le viager

Le terme de « viager » se rapporte à un mode de paiement particulier dans le cadre d’une vente immobilière. Il résulte donc d’une combinaison entre un contrat de vente et un contrat de rente viagère pour former un contrat dans lequel le vendeur, appelé crédirentier, cède son bien à l’acheteur, appelé débirentier moyennant le versement d’une somme initiale, appelée bouquet, et d’une rente mensuelle ou trimestrielle, dont le montant, fixé à la signature du contrat, est généralement indexé pour maintenir une concordance au fil du temps. 

 

Le contrat de rente viagère est un contrat classé dans les articles du code civil ayant trait aux contrats aléatoires, puisque « les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain » (article 1964 code civil abrogé), ici la durée de vie du crédirentier. 

La liberté contractuelle dans ce contrat est grande, puisqu’est laissé aux parties la liberté de déterminer tant la personne sur la tête de laquelle la rente viagère est constituée, voir des personnes (rente viagère réversible au conjoint survivant : article 1973 code civil), mais aussi le type de contrat dans lequel la rente viagère est introduite (à titre gratuit, à titre onéreux)

Importance de l’aléa

Le point d’attention majeur est donc bien ce caractère « aléatoire », le défaut de ce caractère faisant encourir la nullité du contrat.

 

Ainsi un contrat de rente viagère créé sur la tête d’une personne atteinte d’une maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat (article 1975 du code civil) ou d’une personne morte au jour du contrat (article 1974 du code civil) ne produit aucun effet.

 

Le défaut d’alea peut également découler d’un montant trop faible de la rente, inférieur au rendement de l’immeuble (C. civ. art. 1179, al. 2 ; Cass. 3e civ. 24-10-2012 n° 11-21.980)

Viager libre ou occupé

Le viager occupé, représentant environ 90% des ventes en viager, est la vente d’un bien immobilier dont le crédirentier se réserve un Droit d’Usage et d’Habitation (DUH) ou d’usufruit sur le bien.

 

Le viager libre, est la vente d’un bien immobilier dont l’acquéreur aura la libre disposition dès le jour de la signature de la vente, pour occuper ou louer le bien tout en continuant de verser une rente.

Consentement, capacité et pouvoir de disposer

Le viager étant une modalité de paiement dans un contrat de vente immobilière, les conditions propres à ce contrat restent applicables.

Le consentement des parties doit donc être libre et éclairé.

Lorsque l’immeuble vendu est un bien commun, le consentement des deux époux est nécessaire (article 1424 et 1427 du code civil), de même en cas de logement de la famille ( code civil article 215 alinéa 3).

De même les règles concernant les majeurs protégés s’appliquent (assistance du curateur ou de la personne habilitée par une habilitation familiale, représentation par le tuteur…)

Dépenses / charges

La répartition des charges est conventionnelle.

Ainsi les parties peuvent convenir contractuellement de mettre à la charge du débirentier la taxe foncière (hors ordures ménagères), les éventuels honoraires du syndic en cas de copropriété, les gros travaux…

Seuls restent obligatoirement à sa charge les dépenses d’entretien ainsi que les charges courantes (eau, électricité, gaz)

Garanties du paiement de la rente

Pour garantir le paiement de la rente, un privilège de prêteur de vendeur est inscrit (article 2379 du code civil) pour la durée de vie du crédirentier.

Attention en cas de financement du bouquet par un prêt, il y aura un concours entre le privilège de vendeur et le privilège de prêteur de deniers de l’établissement bancaire.

 

Le fonds viager

Le regain de popularité du viager passe également par l’entrée dans ce marché des investisseurs au travers des fonds viagers, fonds très rentables. L’immobilier reste un placement très apprécié des investisseurs. Le viager apparait alors comme une alternative aux SCPI et autres fonds immobiliers, car contrairement à ces deniers, les investisseurs en ayant un large portefeuille de biens en viager ne dépendent plus du marché de l’immobilier et ne peuvent être impactés qu’à hauteur de la quote-part nue-propriétaire. De plus l’achat de nombreux biens permet d’éviter le caractère aléatoire de la durée du paiement d’une seule rente et ainsi neutraliser le risque d’un crédirentier vivant très longtemps.

De plus ce fonds viager étant mutualisé, il n’y a donc pas de gestion locative (logement occupé par le crédirentier donc pas de locataire à chercher, et permet d’éviter tout ce qui va avec : loyers impayés…), pas de loyer ni de revenu foncier donc pas d’impôts à payer.

Fiscalité du viager

Plus-value immobilière

Côté crédirentier – Par principe, puisque nous sommes dans le cadre d’une mutation à titre onéreux, la vente en viager est une opération imposable au titre des plus-values immobilières. Néanmoins plusieurs exceptions existent :

  • – L’exonération classique au titre de la résidence principale (art. 150 U II 1° du CGI).
  • – L’exonération pour détention du bien depuis plus de 30 ans.
  • – L’exonération pour pension de retraite ou carte d’invalidité.
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Côté débirentier – Point sur lequel une attention doit être porté, le débirentier peut être redevable d’un impôt sur les plus-values dès lors qu’il décide de céder le bien avant l’écoulement d’un délai de 30 ans et qu’il n’en a pas fait sa résidence principale. Deux cas de figure :

  • – Le débirentier souhaite revendre le bien acquis en viager avant le décès du crédirentier. Pour déterminer le montant de la plus-value immobilière, le prix d’acquisition correspond généralement au total des rentes versées au crédirentier auquel on ajoute le capital de la rente restant à verser à la date de la cession.
  • – Le débirentier cède le bien après le décès du crédirentier et avant les 30 ans de possession. La date retenue comme date d’acquisition, lorsque le crédirentier disposait d’une réserve d’usufruit est la d’entrée de la nue-propriété dans le patrimoine du cédant constitue le point de départ du délai de détention du bien (BOI-RFPU-PVI-20-20, 10 avr. 2015, n° 40.)

Impôt sur le revenu

Côté crédirentier : Lorsque le vendeur perçoit la rente, cela constitue un revenu imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie « « traitements, salaires, indemnités, émoluments, pensions et rentes viagères ».

 

Néanmoins, le crédirentier bénéfice d’un régime fiscal de faveur puisque l’imposition prend en compte pour le calcul de la base imposable l’âge du vendeur lors du premier versement de la rente, et est fixé une fois pour toutes (article 158, 6° du CGI).

Age du vendeur au 1er versement

Part imposable

Moins de 50 ans

70%

De 50 à 59 ans

50%

De 60 à 69 ans

40%

Plus de 69 ans

30%

Sur cette base imposable seront également calculés les prélèvements sociaux dus par le crédirentier au titre des revenus du capital.

Si l’opération est réalisée par un couple de crédirentiers, il est admis par l’administration fiscale qu’il convient de retenir l’âge du plus âgé des deux époux lors du premier versement. En revanche, si chacun des conjoints mariés ou pacsés perçoit personnellement une rente viagère, on retiendra l’âge de chacun d’eux afin de calculer la base d’imposition pour chacune des rentes viagères perçues

Si la rente est réversible et qu’elle est perçue successivement par des personnes non mariées (ou pacsées), sera retenu l’âge du nouveau bénéficiaire au moment où il percevra la rente pour la première fois.

Côté débirentier : Le débirentier doit se soumettre à une obligation déclarative en adresser chaque année à la direction départementale des services fiscaux un imprimé n° 2466 indiquant l’identité des bénéficiaires de la rente et les sommes payées au cours de l’année précédente.

 

Toutefois, le débirentier ne peut pas quant à lui déduire de son revenu imposable la rente qu’il a versée. En effet, les arrérages payés au crédirentier ne sont pas considérés fiscalement comme des intérêts déductibles.

 

Impôt sur la Fortune – Se pose la question du viager en matière d’IFI pour les personnes disposants d’un patrimoine conséquent (supérieur à 1,3 millions d’euros).

 

Côté crédirentier – Le viager, contrairement à la cession immobilière classique, ne fait pas sortir le bien immobilier du patrimoine du crédirentier. Dès lors, la rente viagère, pour sa valeur en capital est à intégrer dans l’assiette de l’IFI.

Pour le calcul il faut prendre en compte la rente perçue au cours de l’année fiscale concernée, de son âge l’année de la déclaration, de son sexe et du caractère réversible ou non de la rente, le tout constituant la valeur en capital à déclarer.

 

Concernant le bouquet, celui-ci sera tout simplement intégrer de manière directe au patrimoine du contribuable.

 

Lorsque le viager est « occupé », le crédirentier devra également déclarer la valeur de son usufruit qui sera déterminée par application du barème prévu par l’article 669, I du CGI.

 

Côté débirentier – Le débirentier soumis à l’IFI pourra déduire la valeur de capitalisation de la rente viagère de son actif imposable. Cela étant, le bien acquis en viager fait partie de son patrimoine taxable à l’FI et il devra l’y inscrire.

Droits de mutation  – Lorsque la cession n’est pas soumise à la TVA, cas le plus fréquent puisque souvent les crédirentiers sont des particuliers non assujettis, le cessionnaire devra s’acquitter des droits de mutation au taux de droit commun.

Pour un viager libre, l’assiette des droits de mutation est la valeur du bien qui est déclarée dans l’acte (prix de vente constitué par le bouquet et la valeur de capitalisation de la rente).


Pour un viager occupé, seule la nue-propriété étant transmise, c’est cette valeur, conformément à l’article 669 I du CGI, qui constitue l’assiette des droits de mutation.